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Lyon, le 24 mars 2011 - Clair-obscur aigu-émoussé

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A cause de je ne sais quel funeste sort, les français craignent les figures de style de leur propre langue. Il est vrai que certains mots, avec leur consonance bizarre et leur orthographe invraisemblable, ne simplifie pas la tâche de qui veut mettre les mains dans le cambouis !

Ainsi en est-il de l’oxymore, la figure de style qui rassemble, en une seule expression, deux termes de sens contraire. Des exemples ?
"Cette obscure clarté qui tombe des étoiles…" Pierre Corneille, Le Cid.
"Ma seule Étoile est morte, - et mon luth constellé porte le Soleil noir de la Mélancolie" - Les Chimères, de Gérard de Nerval ; des expressions aussi, passées dans la langue commune telles qu’un silence assourdissant, un jeune vieillard et naturellement, un clair-obscur.
Le mot oxymore a été composé à partir de deux termes grecs : oxy- et -more.
Oxy- vient d’oxus et signifie « aigu, c. à d. pointu, tranchant ; d’où, en parlant de sensations : piquant, aigre, acide ; aigu (voix, cri), perçant (vue, regard) ; en parlant de l’intelligence : fin, pénétrant, vif, rapide ».
-More vient de môros et signifie « émoussé, hébété, d’où au moral sot, fou, insensé ».
Le mot oxymore signifie donc littéralement « aigu-émoussé, fin-sot, pénétrant-hébété… ». Il est donc lui-même un oxymore !

Quand un oxymore se présente dans un texte, il surprend et déstabilise : la langue perd de sa clarté, le sens de la phrase se dissout et le lecteur attentif s’arrête. Car l’oxymore conduit le langage à une extrémité : dire et dédire en un seul mouvement. C’est qu’il s’agit pour lui non de produire du sens en surplus, mais au contraire de l’évider, de le creuser ; l'oxymore signale la présence d'un abîme, indéfini mais bordé, comme le ferait un pont jeté par-dessus un gouffre pour le franchir.

Ainsi, dans le même temps que la signification se dérobe, une porte s’ouvre sur une autre scène - un seuil se dégage entre deux - et un troisième espace apparaît qui, n’étant pas visible, ne pouvait se déployer dans le courant du texte.
Ce troisième espace est désigné en creux, en négatif, pour informer le lecteur que le dit-lieu est compté : il existe, puissamment. Le lecteur renvoyé à ses propres réflexions est alors invité à développer ses pensées et à les laisser filer dans le courant du texte. C'est que le Destin qui noue ses rets par-dessus nos têtes ou les remous obscurs, cycliques et labyrinthiques de nos âmes sont affaires de chacun.

Fac simile de Georges de la TOUR - (Le Louvre)
Éducation de la vierge
Clair-obscur est donc un oxymore. Ce fut aussi, en peinture, l'expression d'une révolution qui introduisit un déplacement radical dans la conception de la lumière.
L'expression clair-obscur, en passant dans le langage commun, a été roulé comme un galet dans le cours tumultueux d’un torrent : elle a perdu de son tranchant et de ses qualités subversives. 
Cependant, bien que l’aiguillon soit émoussé, elle n’en introduit pas moins à des chambres noires, des champs obscurs, des fonds ténébreux ou de sombres scènes…
Les mots passent et leurs vertus, les mystères demeurent - inusables, inépuisables, insondables - et leur piquant, et le désir aigu qu’ils suscitent d’être pénétrés… mais aussi formés, déformés, reformés… et représentés !


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Lyon, le 6 mars 2011 - Clair-obscur

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                      Naître de l’ombre
                                  du feu des couleurs de l’air…
                      Que de matrices !                                     
                                  © Michèle Rodet


Naître de l'ombre du feu
Des couleurs de l'air...
Que de matrices !
                                             Naître de l'ombre du feu des couleurs de l'air...
                                     Quelle matrice !
                  Naître de l'ombre
                  Du feu
                  Des couleurs                                 Naître de l'ombre du feu
                  De l'air...                                                             des couleurs
                  Que de matrices !                                                 de l'air...
                                                                    Que de matrices !
                                  Naître de l'ombre
                                          Du feu des couleurs
                                          De l'air...
                                          Que de matrices !


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